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Inter-Lied

24 novembre 2008

Le principe dialogique

" Le terme de dialogique veut dire que deux ou plusieurs logiques, deux principes sont unis sans que la dualité se perde dans cette unité ".

Ce concept a été forgé par Edgar Morin pour exprimer la fusion en une unité complexe (c'est-à-dire à la fois complémentaire, concurrente et antagoniste) de deux ou plusieurs logiques différentes, voire contraires.

Comme on le sait, le mot de dialogique n'a pas d'héritage philosophique, scientifique ou épistémologique connu. Il apparaît dans la pensée d'Edgar Morin à la fois comme réponse à un défi - (le défi de la complexité du réel qui débusque nos logiques coutumières-aristotélicienne, cartésienne, etc.) - et nécessité d'une révolution de pensée, voire des mentalités.

La dialogique est chez Edgar Morin, non pas le concept-solution, mais un des mots-phare qui aident à penser la complexité du réel. Un des apports majeurs de la pensée complexe est de faire surgir au cœur de notre conscience le problème de la contradiction au sein du réel, problème résolu dans la pensée classique (voir explication de ce terme) soit par la liquidation de la contradiction comme voile de la simplicité du réel, soit par la hiérarchisation (dialectique) de diverses logiques débouchant sur une synthèse dont la teneur n'est rien de plus que l'élimination de la contradiction, donc de la diversité, soit encore par l'isolement ou l'enfermement de chaque logique.

Le principe dialogique nous apprend que " Les trois aussi peut être un ".

La théologie catholique l'a exprimé dans la trinité où les trois personnes n'en font qu'une tout en étant distinctes et séparées".

Bel exemple de complexité théologique où le fils régénère le père qui le génère et ou les trois instances s'entregenèrent. C'est autrement, mais de façon également difficile, qu'il faut concevoir la dialogique sur terre. La science elle-même obéit à la dialogique. Pourquoi ?

Parce qu'elle n'a cessé de marcher sur quatre pattes différentes. Elle marche sur la patte de l'empirisme et sur la patte de la rationalité, sur celle de l'imagination et sur celle de la vérification.

Or, il y a toujours dualité et conflit entre les visions empiriques, qui, à la limite, sont purement pragmatiques et les visions rationalistes qui, à la limite, deviennent rationalisatrices et rejettent hors de la réalité ce qui échappe à leur systématisation. Ainsi, rationalité et empirisme maintiennent une dialogique féconde entre la volonté de la raison de saisir tout le réel et la résistance du réel à la raison. En même temps, il y a complémentarité et antagonisme entre l'imagination qui  fait les hypothèses, et la vérification, qui les sélectionne.

Autrement dit, la science se fonde sur la dialogique entre imagination et vérification, empirisme et rationalisme. Et c'est parce qu'il y a dialogique complexe permanente, à la fois complémentaire et antagoniste, entre ces quatre pattes de la science, que celle-ci a progressé.

Le jour où elle marcherait sur deux pattes ou deviendrait unijambiste, la science s'effondrerait. Autrement dit, la dialogique comporte l'idée que les antagonismes peuvent être stimulateurs et régulateurs ".

(E. Morin, Science avec conscience, Paris, Fayard, 1982, 2eme édition, 1990, pp 176-177).

Bien que la dialogique soit différente de la dialectique, elle est chez Edgar Morin " Héritière de l'idée dialectique de Héraclite, Nicolas de Cuse, Hegel, Marx".

(E. Morin, Arguments pour une Méthode (autour d'Edgar Morin), Colloque de Cerisy, Paris, Seuil, 1990, p. 266).

Dès lors, il est important d'examiner la nature de cette différence pour mieux distinguer la dialogique d'avec la dialectique. Tout d'abord dans l'étymologie de ces deux concepts (dialogique et dialectique), il y a quelque chose de commun. Dans le concept dialogique, on voit le préfixe «dia», d'origine grecque qui est déjà présent dans le mot dialectique.

En effet, le préfixe «dia», de dialogique a la même racine que celui du terme dialectique.

La dialectique peut être définie étymologiquement comme étant " Un échange de paroles ou de discours, c'est-à-dire une discussion ou un dialogue ; comme forme de savoir, elle est alors la technique du dialogue, ou l'art de la dispute, tel qu'il a été développé et fixé dans le cadre  de la pratique politique propre à la cité grecque ".

(E. Balibar et P. Macherey, "Dialectique", in Encyclopædia universalis, Vol.5, E.U.F., 1968, 14eme publication, 1979, p. 533).

La dialogique intègre l'idée d'échange, de communication, fondamentales dans la dialectique, mais elle se démarque d'avec la dialectique là où cette dernière cherche la cohérence à travers l'éradication de la différence et l'exclusion de la diversité. La dialectique a comme cheval de bataille les principes de la logique formelle (principes de non-contradiction, d'identité et de tiers exclu). La dialogique repose justement sur la coopération, dans un même système, de logiques différentes, voire contradictoires.

Notons, enfin, que " Le mot de dialogique n'est pas un mot qui permet d'éviter les contraintes logiques et empiriques comme l'a été si souvent le mot dialectique. Ce n'est pas un mot passe-partout qui escamote toutes difficultés comme les dialecticiens l'ont fait pendant des années.

Le principe dialogique est au contraire l'affrontement de la difficulté du combat avec le réel".

(E. Morin, op. cit., p 177 ).

La dialogique est aussi présente, voire centrale dans le processus démocratique où on voit un jeu qui permet l'affrontement et la complémentarité des idées différentes, où des idées opposées coopèrent interagissent les unes sur / contre les autres. Cet affrontement des idées constitue ce que Morin appelle le jeu de la vérité et de l'erreur. Ainsi donc, on peut dire, avec Edgar Morin, que " La démocratie n'a pas de vérité ; elle n'est pas propriétaire d'une vérité ! Dans les autres systèmes, il y a au sommet les chefs, prêtres, rois, etc., qui ont le livre sacré qu'ils interprètent, eux et eux seuls, et sont ainsi les détenteurs monopolistes de la vérité ; mais le propre d'une démocratie est qu'elle permet plus ou moins que se joue le jeu (ou la dialogique) de la vérité et de l'erreur ; c'est le propre de " L'invention démocratique ", comme dit très justement Claude Lefort, l'ouverture maximale pour que se joue ce jeu, offrant ainsi les possibilités multiples et antagonistes de l'information, de l'opinion, de l'organisation des partis, etc.". (Ibidem, p. 144 ).

Prenons l'exemple de la culture européenne : elle est, selon les mots d'E. Morin, d'origine judéo-christiano-gréco-romaine, c'est-à-dire simultanément issue de la culture juive, chrétienne, grecque et romaine. Toutes ces cultures ont chacune ses principes. En mettant ces principes en relief, plusieurs différences et oppositions se dessinent. Pourtant, ce sont ces principes qui constituent l'unité de la culture européenne.

Dès lors " Ce qui fait l'unité de la culture européenne ce n'est pas la synthèse judéo-christiano-gréco-romaine, c'est le jeu non seulement complémentaire, mais aussi concurrent et antagoniste entre ces instances qui ont chacune leur propre logique : c'est justement leur dialogique ".

(E. Morin, Penser l'Europe, Paris, Gallimard, 1987, p. 28 ).

La dialogique est présente dans l'organisation vivante où on voit, par exemple d'une part, la logique d'une protéine, instable, qui vit en contact avec le milieu naturel qui permet l'existence phénoménale, et qui se dégrade et se reconstitue sans cesse à partir de messages qui émanent de l'ADN. , et d'autre part, la logique de la mémoire héréditaire (ADN) qui assure la reproduction.

" Ces deux principes ne sont pas simplement juxtaposés, ils sont nécessaires l'un à l'autre.

Le processus sexuel produit les individus, lesquels produisent le processus sexuel. Les deux principes, celui de la reproduction individuelle et celui de l'existence individuel hic et nunc, sont complémentaires mais ils sont aussi antagonistes. Parfois, on s'étonne de voir les mammifères manger leurs enfants et sacrifier leur progéniture à leur propre survie.

Il y a dialogique entre ces deux principes.".

(E. Morin, Introduction à la pensée complexe, Paris, éd.ESF, 1990, p. 99).

http://college-heraclite.ifrance.com/documents/definitions/dialogique.htm

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